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L'éveil
15 janvier 2011

Le désir

 

L’amour courtois, ou fin’amor, « amour parfait », repose sur l’idée que l’amour se confond avec le désir.

Or le désir, par définition, appelle ce qui dans l'instant ne peut être atteint. Le désir est une soif, une faim, une démangeaison de l'âme mais au contraire du besoin, il ne peut être assouvi. Le désir ne s'éteint pas car il est vie, il est élan de vie. Il ne peut se satisfaire des biens de ce monde car l'essence même du désir est de pointer vers de ce qui ne se possède pas. De pointer vers ce qui nourrit pleinement l'être et le libère de ses propres limites. C'est pourquoi tenter de remplir ce vide béant que le désir accuse en soi est vain. Ce qui peut remplir l'infini est l'incommensurable plénitude d'amour. Et rien d'autre.

Il revient donc inlassablement. Toute tentative de contrôler ou même d'étouffer son désir est vouée à l'échec car le désir est racine d'amour. Il tend vers l'assouvissement tout en sachant que cet assouvissement consacrera sa disparition. Il tend vers l'impossible.

En ce sens, lorsqu'on parle d'amour on lie étroitement Éros et Thanatos, le désir et la mort de ce dernier. La mort non pas comme une fin tragique mais comme une possibilité de renaissance tel que le symbolise l'Ouroboros, serpent dont le mythe remonte aux origines et qui désigne ce désir lové au fond de soi qui ne peut se nourrir d'autre chose que de soi...

C’est pourquoi l’amour tend vers son assouvissement et en même temps le redoute, comme la mort du désir. Et c’est ainsi qu’il y a perpétuellement dans l’amour un conflit insoluble entre le désir et le désir du désir, entre l’amour et l’amour de l’amour. Ainsi s’explique le sentiment complexe qui est propre à l’amour, mélange de souffrance et de plaisir, d’angoisse et d’exaltation.

Transcender ce conflit c'est dépasser la peur de se perdre soi-même par la force même de cet amour que l'on ressent, que l'on est, et découvrir de l'autre côté du miroir, à l'envers des principes de ce monde, que le désir est soi et donc inaltérable. Il est le Verbe créateur, l'impulsion de vie. Il est la lien étroit entre manifestant et manifesté. Il est ce vide entre l'inspir et l'expir, entre l'avant et l'après, entre les mots que j'écris et que parfois la poésie met en relief.

Dans le Partage de Midi, à l'acte III, Claudel prête à son héros Mesa des propos enflammés, presque blasphématoires, sur l'amour qu'il ressent pour Ysé. S'adressant au Crucifié, mesa déclare:

Je l'aimais, et je n'ai point peur de vous,

Et au-dessus de l'amour il n'y a rien, et pas vous-même!

Cette phrase ne se trouve que dans la première version écrite par le poète. A la demande de Jean-Louis Barrault, Claudel modifia, c'est-à-dire affadit énormément la teneur de ce cantique.

Or, la révélation-qui déchire tout assujettissement à une croyance, tout réconfort pieux- est bien celle-ci: au-delà de l'Amour il n'y a rien, aucun dieu ne tient.

Quel scandale. Or, c'est le sens profond et ultime de la fin'amor, et on comprend que les tenants de l'Église officielle, alliés aux puissants du royaume de France, aient combattu avec fureur et sauvagerie les troubadours et la mystique courtoise.

La fin'amor n'est pas une religion de l'amour, mais le dépassement, l'abrogation de toute religion au nom de l'Amour innomé, lointain. Quel vertige. Le fin amant se retrouve infiniment libre face au ciel, il n'a plus besoin de prière ni d'obéissance, le péché ne signifie plus rien , pas plus que le repentir. Il est happé par l'Amour et cet Amour qui n'admet aucun qualificatif en aucune langue ne supporte pas même le nom de Dieu.

Jacqueline Kelen-Un chemin d'ambroisie

La fin'amor (ou en langue d'Oc amour parfait) semble prendre son essor au XIIe siècle, à partir de Guillaume IX duc d'Aquitaine, personnage anecdotique qui fut le précurseur d'une poésie chantée en langue occitane ou romane (dite vulgaire) non plus à la gloire de la guerre ou de la religion mais consacrée au thème de l'amour. L'art du poème chanté sera diffusé par les troubadours (de l'occitan trobador: celui qui trouve) à travers l'Europe médiévale jusqu'à la fin du XIIIe siècle.

Ce courant, inspiré sans doute de la mystique amoureuse de la littérature arabo-andalouse, est l'expression d'un désir d'absolu indépendant des codes établis (le mariage par exemple n'est pas un obstacle) ou d'une morale figée dans la soumission à un régime dominant. L'amour est bien au-delà de toute loi, tout code moral car il transcende ces derniers en Loi parfaite adaptée à la singularité de chaque être.

 

Toute ta vie doit consister en désir

(le Nuage de l'inconnaissance-anonyme)

 

 

 

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