Marcher ensemble
Imaginons, un instant, juste un instant que la vie soit une randonnée en haute-montagne.
Imaginons les dangers, la beauté et le vertige.
Imaginons aussi que nous ne soyons pas seuls sur le sentier qui conduit au sommet (où vers une contrée plus hospitalière...). Nous cheminons en compagnie de nos liens, de tous ces gens que nous croisons sur le chemin, ceux que nous ne faisons que croiser. Ceux qui deviennent des compagnons de routes, nos proches, nos amis, notre entourage quotidien.
Certains ont déjà cheminé longtemps et connaissent bien les dangers, les bons et les mauvais sentiers, les moyens de survie, les lieux qui méritent qu'on s'y attardent.
D'autres ne font que commencer, trébuchent, se sont blessé et sont resté un long moment bloqués sans pouvoir avancer.
Certains sont des guides, des âmes secourables, pourvoyeurs de courage, d'amour, et de savoir. D'autres nous freinent, nous mettent en danger, ou nous font croire qu'ils savent tout alors qu'ils ne savent rien ce qui peut être fatal en haute-montagne...être mal guidé, mal accompagné.
Il y a aussi notre propre contribution dans ce cheminement, cette grande randonnée. Que pouvons-nous apporter à nos compagnons de voyage?
Devons-nous penser de manière égoïste, penser que ce chemin ne regarde que nous? Que chacun doit faire ce qui lui plait? L'égo est très mauvais conseiller dans un milieu hostile car nous avons besoin des autres. Que cela nous plaise ou non. Si nous glissons sur le chemin, il nous faut une main pour nous retenir.
Le voyage n'est-il pas plus agréable quand il est fait dans la joie, le partage, et l'écoute. Nous attendons beaucoup des autres mais que pouvons-nous offrir?
Parfois il suffit d'être présent, attentif et fidèle. Un bon compagnon de route. On ne nous demande pas de porter les autres sur notre dos...ce serait fatal pour l'autre comme pour soi. La meilleure façon de tomber d'épuisement.
Cheminer en toute sécurité en haute-montagne, en s'entourant de bonnes personnes et en veillant les uns sur les autres est le meilleur moyen d'apprécier le paysage grandiose, l'ineffable beauté de la vie. Cette splendeur qui nous échappe quand on se blesse, quand on glisse ou quand on se perd.
Il faut rendre grâce à ceux qui ont tracé le chemin pour nous, ceux qui ont cheminé en éclaireurs et nous ont ouvert la voie.
Et le conflit? Quelle est la meilleure façon de le gérer en milieu hostile? Il est évident quand on regarde la relation à travers cette métaphore du chemin de montagne que laisser libre cours à nos bas instincts, à l'agressivité est autant fatal pour l'autre que pour soi. La colère, le ressentiment, la haine réduit considérablement notre point de vue. En fait il se réduit à l'objet de ces sentiments. Et du coup, on oublie d'être vigilant. On oublie la beauté du chemin. On oublie le danger qu'il y a à oublier...et on tombe.
Une certaine littérature psycho-spirituelle nous exhorte à être vrai, à dire ce que l'on ressent lors des conflits, à toujours exprimer son ressenti sans tabou. Mais je crois que c'est un piège parce que nous ne sommes pas maîtres de nos ressentis et de nos pensées. Dire ce que l'on sent peut être extrêmement blessants pour l'autre. Et blesser l'autre c'est fermer toute possibilité de dialogue.
Mais alors comment être vrai?
Être vrai signifie d'abord et avant tout être vrai avec soi, ne pas se mentir, ne pas être dupe des manipulations de notre égo. Être vrai est un travail ardu sur soi et ne s'obtient pas du jour au lendemain. C'est pourquoi la véritable amitié est une chose rare. Peu de personne parviennent à se remettre assez en question pour construire une relation sur la vérité et l'amour (l'un ne va pas sans l'autre). Beaucoup tombent amoureux mais peu sont de véritables amis. Dès qu'on sent le petit serpent de l'ego remuer au fond de soi, on rencontre les limites de l'amitié. Et là commence le défi.
Être vrai avec l'autre devient une conséquence naturelle du travail sur soi, de la vigilance de soi, et doit se faire sans effort, ou du moins dans l'élan du coeur.
Le véritable dialogue se fait dans l'écoute AVANT les réclamations. Aujourd'hui l'écoute est une denrée rare. Observez-vous, voyez comme il est facile d'interpréter les paroles, actes, convictions des autres. Observez comme il est facile de « penser pour l'autre » simplement par le biais d'un mot, d'un geste mal compris. L'humain juge avec une telle dextérité, une telle aisance, qu'il se repait lui-même de cette capacité maladive à faire de l'autre un objet. Aujourd'hui l'écoute est rémunérée. Les thérapeutes en tout genre nous promettent monts et merveilles. Certains s'improvisent comme d'éminent « guides de montagne » et savez-vous pourquoi? Parce qu'ils ont découvert simplement le pouvoir de l'écoute.
Un être qu'on écoute se déploie comme une fleur. Il se sent pour un instant pleinement entouré par l'autre. Un être qu'on écoute se sent aimé. C'est comme ces petits escargots sortent de leur coquille seulement quand ils ne sentent plus de danger. Ce danger à exposer les parties les plus intimes de son être. Ce danger réel de laisser en pâture ce qu'il a de plus précieux à ceux qui excellent à juger – voir à ce sujet la parabole du Christ:« Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent », Matthieu 7/6. Dans l'écoute l'être révèle toute sa beauté.
La métaphore du chemin en haute montagne peut vraiment nous aider à comprendre qu'elle est la bonne attitude à adopter avec nos compagnons de route et nous aider à réaliser beaucoup d'erreurs dans nos relations.
Nous devons être attentifs les uns envers les autres, même avec les membres de notre famille qui sont un pain béni pour évoluer (c'est souvent à partie d'erreurs et de souffrances que nous grandissons). Fuyez les gens qui cherchent (parfois de façon subtile) à vous séparer, vous diviser de vos proches car un être isolé en haute-montagne est toujours une proie facile pour les prédateurs...Et cela vaut aussi à grande échelle, quand on cherche à isoler une communauté du reste du monde, à la rendre importune car "différente". Or chaque être est différent, unique et chaque vie est comme ces mandalas de sables qu'une fois terminés on efface. Condamner la différence, c'est condamner tout ce qui existe à par soi. C'est le paroxysme de l'ego.
Fuyez les gens qui vous mettent en danger ou vous détournent du paysage sublime de la vie car ce sont des égarés qui ne souhaitent partager que leur...égarement. Ceux qui veulent avancer sont reconnaissables par leur humilité.
Ne tombez pas dans l'erreur de croire que, parce que vous êtes dans une voie spirituelle, d'amour inconditionnel, vous devez sacrifier votre vie à des personnes qui ne le feraient certainement pas pour vous. Le sacrifice est vain. Le sacrifice est un mensonge.
Le don est une vérité. Car le don amène toujours au partage.
Il n'y pas à culpabiliser de bien préparer son voyage, de choisir les bons compagnons de route (compagnon signifiant "partager le pain"), de mettre toutes les chances de votre côté pour préserver le bon déroulement de ce cheminement car des imprévus nous attendent toujours sur ce chemin. Il est bon d'y être préparé.
La vie est un chemin jonché d'épreuves et d'obstacle mais sa splendeur est incomparable et la tâche qui vous incombe est de la préserver. C'est votre responsabilité. Et ce chemin ne prendra son sens que dans le partage et la solidarité.
Et vous, chers liens tissés d'un rien, qu'avez-vous appris de l'autre?